Comment qualifier cette catégorie d’acteurs culturels dits indépendants en Europe ? À partir de quelles représentations et conceptions de l’économie politique de la culture et des médias est-elle construite au sein du réseau ? Quels usages politiques et institutionnels de l’indépendance peut-on identifier de la part du réseau Reset! et de ses membres ? Quels sont les besoins spécifiques des acteurs indépendants, tels qu’ils sont exprimés notamment dans les différents contextes territoriaux et politiques repré- sentés ? Quelles disparités ou variations géographiques, sectorielles ou autres peut-on mettre en évidence ? Comment entre-t-on en indépendance (et en sort-on) ? Quelles valeurs d’ordre culturel, social et politique sont mises en avant par les membres du réseau ? Ce sont les principales questions qu’examine l’enquête.
La question de l’indépendance de l’activité artistique, ainsi que des producteurs cultu- rels et médiatiques, a été régulièrement soulevée sous différentes formes et désigna- tions (autonomie, liberté artistique, liberté d’expression, non-conformisme, authenti- cité, émancipation, rupture, débat entre art pour l’art et art social, underground choisi, autoproduction et ethos Do it yourself [DIY], etc.) au regard de l’autonomisation pro- gressive du champ artistique et de la professionnalisation de la culture, ainsi que des nouvelles orientations du champ des médias (édition et plateformes numériques, journalisme citoyen, etc.). Cependant, la notion d’indépendance peut revêtir des significations différentes en fonction du contexte national, politique et historique.
Aujourd’hui, à cause de l’histoire spécifique de l’autonomisation et de la structuration des activités artistiques dans différents États européens, la perception et la définition de l’indépendance varient – entre tendances de distinction par rapport aux logiques économiques et conquête d’autonomie dans la dimension politique et idéologique. Sur un autre plan, l’émergence de nouveaux médias s’est traduite par des concurrences en termes de contenus, de normes, de priorités, de statuts, d’échelles et de moyens de production et de diffusion face aux oligopoles, voire de tentatives de contournement de la censure. Au-delà des différences historiques nationales, la conception de l’indé- pendance que se font les acteurs est tributaire de leurs propriétés sociales et géné- rationnelles, de leur trajectoire préalable, des courants et mouvements artistiques ou des cercles éditoriaux auxquels ils appartiennent. Comme les acteurs sont socialement situés, les visions qu’ils ont de l’indépendance le sont aussi. Un des objectifs de cette recherche a été de repérer les frontières de l’autonomie/hétéronomie politique, éco- nomique, artistique et éditoriale acceptables pour les acteurs du réseau Reset!, c’est- à-dire les lignes rouges à partir desquelles on ne peut plus parler d’indépendance – pour en construire une définition liminaire, et non uniquement essentialiste.
Plusieurs questionnements dans le cadre de cette enquête touchent aux aspects poli- tiques de l’activité culturelle perçue comme indépendante. Comment les tensions, les divergences ou au contraire les habitudes de coopération entre acteurs indépendants, favorisées par le manque de ressources, impactent-elles les usages de la notion d’indé- pendance dans le secteur de la culture et des médias ?
Ainsi, l’enquête s’intéresse aux aspects de l’activité des membres du réseau Reset! qui vont au-delà du domaine culturel et éditorial au sens strict et concernent plus large- ment les problèmes sociaux et politiques, la vision de la société et de son développe- ment, ainsi que le débat public. Quelles valeurs d’ordre social et politique sont portées par les membres du réseau Reset! ? Y a-t-il des valeurs de cet ordre qui sont associées voire propres au secteur culturel indépendant ? Quel est le rapport de ces structures à l’Europe ?
Enfin, la question qui se pose est aussi celle des « bonnes » politiques publiques pour la culture indépendante. Comment valoriser l’indépendance des acteurs culturels auprès du monde politico-administratif ? Du point de vue des membres du réseau Reset!, quelles mesures peuvent être envisagées afin de minimiser la vulnérabilité du secteur culturel indépendant face aux crises ? La crise sanitaire a rendu apparente cette vulnérabilité, mais d’autres menaces sont à envisager : crises énergétique, économique, financière, environnementale, voire, dans certains États, politique en cas de changement de majo- rité ou de régime. En tout état de cause, cette réflexion doit tenir compte de la dimension multiscalaire des politiques publiques, y compris celles de la culture et des médias, entre plusieurs niveaux : local, régional, national ou fédéral, européen.